Je vois certes une cerise, je la touche, je la goûte ; je suis sûr qu’un rien ne saurait être vu, ni touché, ni goûté ; la cerise est donc réelle. Enlevez les sensations de mollesse, d’humidité, de rougeur, d’acidité, et vous ôtez la cerise, puisqu’elle n’est en rien distincte de ces sensations. La cerise, vous dis-je, n’est rien qu’un monceau d’impressions sensibles ou d’idées perçues par les différents sens ; lesquelles idées sont unies en une seule chose par l’esprit ; parce qu’elles se montrent à l’observation s’accompagnant les unes les autres. Ainsi, quand le palais est affecté d’une saveur particulière, la vue, elle, est affectée d’une couleur rouge, le toucher de mollesse, de rondeur, et ainsi de suite. De là vient que quand je vois, que je touche et que je goûte de diverses manières déterminées, je suis sûr que la cerise existe, ou qu’elle est réelle ; sa réalité, d’après moi, n’est rien d’abstrait de ces sensations. Mais si, par le mot cerise, vous voulez désigner une nature inconnue, distincte de toutes ces qualités sensibles et, par son existence, quelque chose de distinct de la perception qu’on en a, alors je l’avoue, ni vous, ni moi, ni personne au monde, ne pourrons être sûrs qu’elle existe.
BERKELEY, Trois dialogues entre Hylas et Philonous (1713), III, 249
Questions :
- Puis-je percevoir directement la matière qui m’envoie différentes sensations ?
- Peut-on définir la réalité en-dehors de toute perception ?
- Si personne ne peut être sûr que la matière existe, est-il plus simple de nier son existence ?