Donc ce qui est assurément mis en vente en premier lieu lors de la publication d’un livre, c’est le papier imprimé, pour tout un chacun qui a de l’argent pour le payer, ou un ami à qui l’emprunter ; puis il y a le contenu du livre, pour tout un chacun qui a assez de tête et de courage pour s’en rendre maître. La première chose cesse immédiatement avec la vente d’être une propriété de l’auteur, et devient exclusivement celle de l’acheteur, car elle ne peut avoir plusieurs maîtres; mais la seconde, dont la propriété, en vertu de sa nature spirituelle, peut être commune à beaucoup, d’une telle façon que pourtant chacun la possède tout entière, cesse assurément avec la publication d’un livre d’être la propriété exclusive du premier maître, mais reste sa propriété commune avec beaucoup. Mais ce qu’absolument jamais personne ne peut s’approprier, car cela demeure physiquement impossible, c’est la forme de ces pensées, l’enchaînement des idées et les signes dans lesquels celles-ci sont exposées.
Chacun a son propre cours d’idées, sa façon particulière de se faire des concepts et de les lier les uns sous les autres : nous le présupposons comme universellement reconnu et à reconnaître immédiatement par tout un chacun qui le comprend. Tout ce que nous devons penser, il nous faut le penser par analogie avec notre façon de penser habituelle ; et ce n’est que par cette réélaboration des pensées des autres, par analogie avec notre façon de penser, qu’elles deviennent nôtres : sans cela elles restent quelque chose d’étranger dans notre esprit, quelque chose de décontextualisé et sans effet. Il est de la plus extrême invraisemblance que deux êtres humains pensent complètement la même chose d’un objet, selon précisément la même suite d’idées et avec les mêmes images, s’ils ne savent rien l’un de l’autre – ce n’est toutefois pas absolument impossible. Mais que l’un, auquel les pensées n’ont pu être communiquées que d’abord par un autre, les reprenne dans précisément la même forme dans son système de pensée, voilà qui est absolument impossible. Comme des idées pures sans images sensibles ne se laissent non seulement pas penser, d’autant moins présenter à d’autres, il faut bien que tout écrivain donne à ses pensées une certaine forme, et ne peut leur en donner aucune autre que la sienne propre, car il n’en a pas d’autre. Mais, dans la publication de ses pensées, il ne peut pas avoir à l’esprit de rendre cette forme également commune : car personne ne peut s’approprier ses pensées sans en changer la forme. Aussi celle-ci demeure-t-elle pour toujours sa propriété exclusive.
FICHTE, Preuve de l’illégitimité de la reproduction des livres (1791), §§7-8
Questions de compréhension :
- Quelles sont les deux éléments qui constituent un livre ? Expliquez pour chacun d’entre eux qui en est le propriétaire légitime et pourquoi.
- Le livre transmet-il directement les idées de son auteur au lecteur ? Expliquez à l’aide d’un exemple.
- Est-il possible que deux personnes aient exactement la même idée ? Justifiez.
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