Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi ; que nous sentons son existence et sa continuité d’existence ; et que nous sommes certains, par une évidence plus claire que celle de la démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. A aucun moment je ne puis me saisir, moi, sans saisir une perception, ni ne puis observer autre chose que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un profond sommeil, aussi longtemps, je n’ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n’existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant. (…)
[Les hommes] ne sont rien qu’un faisceau ou une collection de perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres avec une inconcevable rapidité et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels. L’esprit est une sorte de théâtre où diverses perceptions font successivement leur apparition ; elles passent, repassent, se perdent et se mêlent en une variété infinie de positions et de situations. Il n’y a à proprement parler en lui ni simplicité à un moment, ni identité dans des moments différents, quelque tendance naturelle que nous puissions avoir à imaginer cette simplicité et cette identité.
David HUME, Traité de la nature humaine (1739), I, IV, 6
Questions :
- Reformulez la thèse que Hume veut discuter.
- Qu’est-ce qui n’est jamais perceptible selon lui ? Pourquoi ?
- Expliquez l’analogie qui conclut le texte.
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