L’art peut-il nuire au public ? Le procès du film Tueurs nés

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Article présentant l’affaire

“Oliver Stone poursuivi devant la justice américaine pour son film Tueurs-­nés

Le Monde (28 juillet 1996)

Le réalisateur Oliver Stone ainsi que le studio Warner et le groupe Time Warner ont été assignés en justice au début du mois de juillet par la caissière d’une épicerie, Patsy Byers, paralysée à vie après avoir été agressée, en mars 1995, en Louisiane, par deux jeunes gens qui avaient assassiné un homme, quelques jours plus tôt dans le Mississipi. Si l’influence du film Tueurs-nés (Natural Born Killers, 1994) a déjà été évoquée à plusieurs reprises à propos de diverses tueries, la procédure est la première à être intentée contre ses auteurs. La plainte souligne que les accusés « savaient ou auraient dû savoir que le film risquerait de pousser des gens à commettre des crimes… » Stone et Warner sont donc poursuivis pour avoir mis sur le marché un « produit nocif ».

L’affaire a éclaté au cours de l’hiver 1995, dans un petit tribunal de Louisiane, lors d’une audience préliminaire où la fille d’un magistrat, Sarah, dix-neuf ans, qui avait tiré sur la caissière, a évoqué la fascination qu’elle partageait avec son petit ami, Ben, dix-huit ans, pour le film d’Oliver Stone, que le couple revisionnait sans cesse, y compris la veille du meurtre, sous l’influence de LSD. 

L’affaire en serait sans doute restée là si John Grisham, célèbre auteur de best-sellers, qui connaissait l’une des victimes, n’avait publié au printemps un réquisitoire sans merci contre Stone dans une revue littéraire. « Oliver Stone a dit que Natural Born Killers était conçu comme une satire contre l’appétit de notre culture et le désir insatiable des médias pour la violence, écrivait l’ancien avocat. Mais une satire est supposée se moquer de ce qu’elle attaque. Or il n’y a aucun humour dans Natural Born Killers. C’est une histoire impitoyablement sanglante faite pour nous choquer et nous insensibiliser encore plus face à l’absurdité des meurtres commis avec une pareille insouciance. Certes le film n’a pas été fait avec l’intention d’encourager des gens moralement dépravés à commettre les mêmes crimes, mais qu’il obtienne ce résultat n’est pas vraiment une surprise. » 

Et Grisham propose de traîner Oliver Stone devant la justice : « Le dernier espoir d’imposer un certain sens de la responsabilité à Hollywood viendra de cette grande tradition américaine, le procès. Il faudra un verdict écrasant contre Oliver Stone et ses semblables, sa compagnie de production, peut-être son scénariste [Quentin Tarantino] et le studio, et fini la rigolade. Et ce verdict viendra de l’Amérique profonde, loin de la Californie du Sud, dans un petit tribunal sans caméras. Un jury dira finalement : trop, c’est trop. » 

Dans un pays où un client de BMW a obtenu des millions de dollars de dédommagement parce que sa voiture avait été mal peinte, où les fumeurs tentent de faire condamner l’industrie du tabac et les femmes victimes de séquelles médicales se font indemniser par les marchands d’implants au silicone, Oliver Stone et son producteur seraient donc passibles du même type de poursuites judiciaires, pour avoir mis sur le marché un produit qui « pousse au crime ».

Philosophes pouvant être appelés pour ce procès :

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