Kant : Ma conscience morale m’autorise-t-elle à faire tout ce que je veux ?

Tout homme a une conscience morale et se trouve observé, menacé et, en général, tenu en respect par un juge intérieur, et cette puissance qui, en lui, veille sur les lois n’est pas quelque chose qu’il se forge lui-même, mais elle est incorporée dans son être. Elle le suit comme son ombre s’il songe à lui échapper. Il peut certes par des plaisirs et des distractions se rendre insensible ou s’endormir, mais il ne peut éviter par la suite de revenir à soi-même ou de se réveiller dès qu’il perçoit la voix terrible de cette conscience. Au demeurant peut-il en arriver à l’extrême infamie où il ne se préoccupe plus du tout de cette voix, mais il ne peut du moins éviter de l’entendre.
Cette originaire disposition intellectuelle et morale qu’on appelle conscience possède en elle-même cette particularité que, bien que ne soit en jeu dans cette affaire que le rapport de l’homme avec lui-même, il se voit pourtant forcé par sa raison d’agir comme sur l’ordre d’une autre personne. Car il s’agit ici de conduire une cause judiciaire devant un tribunal. Mais considérer celui qui est accusé par sa conscience comme ne faisant qu’une seule et même personne avec le juge, c’est se forger une représentation absurde d’une cour de justice, dans la mesure où, dans ce cas, l’accusateur perdrait toujours. De là vient que, si elle ne doit pas entrer en contradiction avec elle-même, la conscience morale de l’homme doit nécessairement concevoir, comme juge de ses actions, un autre qu’elle-même.
KANT, Métaphysique des moeurs. Doctrine de la vertu (1797), I, I, §13, pp.295-296

Révisions sonores sur la conscience, par les TL

En novembre 2016 les élèves de TL du lycée René Cassin ont enregistré une émission de radio mettant en scène différents points de leur cours de Philosophie sur la conscience, à propos de ce que c’est qu’être sujet, de la mémoire, de la connaissance de soi et de l’existentialisme.

Sartre : La coquette choisit-elle ce qu’elle devient ?

Voici, par exemple, une femme qui s’est rendue à un premier rendez-vous. Elle sait fort bien les intentions que l’homme qui lui parle nourrit à son égard. Elle sait aussi qu’il lui faudra prendre tôt ou tard une décision. Mais elle n’en veut pas sentir l’urgence: elle s’attache seulement à ce qu’offre de respectueux et de discret l’attitude de son partenaire. Elle ne saisit pas cette conduite comme une tentative pour réaliser ce qu’on nomme « les premières approches » : elle borne ce comportement à ce qu’il est dans le présent, elle ne veut pas lire dans les phrases qu’on lui adresse autre chose que leur sens explicite, si on lui dit : « Je vous admire tant », elle désarme cette phrase de son arrière-fond sexuel, elle attache aux discours et à la conduite de son interlocuteur des significations immédiates qu’elle envisage comme des qualités objectives. L’homme qui parle lui semble sincère et respectueux comme la table est ronde ou carrée, comme la tenture murale est bleue ou grise. (…)

C’est qu’elle n’est pas au fait de ce qu’elle souhaite : elle est profondément sensible au désir qu’elle inspire, mais le désir cru et nu l’humilierait et lui ferait horreur. Pourtant, elle ne trouverait aucun charme à un respect qui serait uniquement du respect. Il faut en même temps que ce sentiment soit tout entier désir, c’est-à-dire qu’il s’adresse à son corps en tant qu’objet. Cette fois donc, elle refuse de saisir le désir pour ce qu’il est, elle ne lui donne même pas de nom, elle ne le reconnaît que dans la mesure où il se transcende vers l’admiration, l’estime, le respect (…).

Mais voici qu’on lui prend la main. Cet acte de son interlocuteur risque de changer la situation en appelant une décision immédiate : abandonner cette main, c’est consentir de soi-même au flirt, c’est s’engager. La retirer, c’est rompre cette harmonie trouble et instable qui fait le charme de l’heure. Il s’agit de reculer le plus loin possible l’instant de la décision. On sait ce qui se produit alors : la jeune femme abandonne sa main, mais ne s’aperçoit pas qu’elle l’abandonne. Elle ne s’en aperçoit pas parce qu’il se trouve par hasard qu’elle est, à ce moment, tout esprit. Elle entraîne son interlocuteur jusqu’aux régions les plus élevées de la spéculation sentimentale, elle parle de la vie, de sa vie, elle se montre sous son aspect essentiel : une personne, une conscience. Et pendant ce temps, le divorce du corps et de l’âme est accompli ; la main repose inerte entre les mains chaudes de son partenaire : ni consentante ni résistante – une chose.

Nous dirons que cette femme est de mauvaise foi.

Jean-Paul SARTRE, L’être et le néant (1943), I, II, 2, pp. 89-90

Authentic Man (existential comics)

Authentic Man (existential comics)

Authentic Man (existential comics)

Authentic Man (existential comics)

Sartre : Suffit-il de jouer à être garçon de café pour en être un ?

Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu’il rétablit perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café (…).

Cette obligation ne diffère pas de celle qui s’impose à tous les commerçants : leur condition est toute de cérémonie, le public réclame d’eux qu’ils la réalisent comme une cérémonie, il y a la danse de l’épicier, du tailleur, du commissaire priseur, par quoi ils s’efforcent de persuader à leur clientèle qu’ils ne sont rien d’autre qu’un épicier, qu’un commissaire priseur, qu’un tailleur. Un épicier qui rêve est offensant pour l’acheteur, parce qu’il n’est plus tout à fait un épicier. La politesse exige qu’il se contienne dans sa fonction d’épicier, comme le soldat au garde-à-vous se fait chose-soldat avec un regard direct mais qui ne voit point, qui n’est plus fait pour voir, puisque c’est le règlement et non l’intérêt du moment qui détermine le point qu’il doit fixer (le regard “fixé à dix pas”). Voilà bien des précautions pour emprisonner l’homme dans ce qu’il est. Comme si nous vivions dans la crainte perpétuelle qu’il n’y échappe, qu’il ne déborde et n’élude tout à coup sa condition.

Jean-Paul SARTRE, L’Être et le Néant (1943), I, II, 2, pp.94-95

Sartre's waiter (existential comics)

Sartre’s waiter (existential comics)

Sartre's Waiter (existential comics)

Sartre’s Waiter (existential comics)

La conscience & l’inconscient

Mis en avant

Le support du cours

 

Articles du site portant sur la conscience

Articles du site portant sur l’inconscient

Conscience & identité personnelle

Conscience & connaissance de soi

Conscience & inconscient

Lecture suivie : Freud, Cinq leçons de psychanalyse (1909)

Conscience & existence

Travaux réalisés par les élèves :

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Exercices de révision :