Il est nécessaire tout d’abord que s’unissent les êtres qui ne peuvent exister l’un sans l’autre, par exemple la femme et l’homme en vue de la procréation, et celui qui commande et celui qui est commandé, et ce par nature, en vue de leur mutuelle sauvegarde. En effet, être capable de prévoir par la pensée c’est être maître par nature, alors qu’être capable d’exécuter physiquement ces tâches c’est être destiné à être commandé, c’est-à-dire être esclave par nature. C’est pourquoi la même chose est avantageuse à un maître et à un esclave. (…) Continuer la lecture
Archives par mot-clé : droit
La tolérance
Rousseau : La propriété unit-elle les hommes ?
Citation
Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant un fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. Mais il y a grande apparence, qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient ; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain. Il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature. Reprenons donc les choses de plus haut et tâchons de rassembler sous un seul point de vue cette lente succession d’événements et de connaissances, dans leur ordre le plus naturel. (…) Continuer la lecture
Locke : Peut-on s’approprier des biens naturels ?
Citation
Un homme qui se nourrit de glands qu’il ramasse sous un chêne, ou de pommes qu’il cueille sur des arbres, dans un bois, se les approprie certainement par là. On ne saurait contester que ce dont il se nourrit, en cette occasion, ne lui appartienne légitimement. Je demande donc : Quand est-ce que ces choses qu’il mange commencent à lui appartenir en propre ? Lorsqu’il les digère, ou lorsqu’il les mange, ou lorsqu’il les cuit, ou lorsqu’il les porte chez lui, ou lorsqu’il les cueille ? Il est visible qu’il n’y a rien qui puisse les rendre siennes, que le soin et la peine qu’il prend de les cueillir et de les amasser. Son travail distingue et sépare alors ces fruits des autres biens qui sont communs ; il y ajoute quelque chose de plus que la nature, la mère commune de tous, n’y a mis ; et, par ce moyen, ils deviennent son bien particulier. Continuer la lecture
Popper : Faut-il tolérer les intolérants ?
Citation
On connaît beaucoup moins le paradoxe de la tolérance : une tolérance sans limites ne peut que mener à la disparition de la tolérance. Si nous étendons une tolérance sans limites même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas préparés à défendre une société tolérante contre l’assaut des intolérants, alors les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance. Continuer la lecture
Arendt : La désobéissance civile porte-t-elle atteinte à la loi ?
Citation
Il existe une différence essentielle entre le criminel qui prend soin de dissimuler à tous les regards ses actes répréhensibles et celui qui fait acte de désobéissance civile en défiant les autorités et s’institue lui-même porteur d’un autre droit. Cette distinction nécessaire entre une violation ouverte et publique de la loi et une violation clandestine a un tel caractère d’évidence que le refus d’en tenir compte ne saurait provenir que d’un préjugé allié à de la mauvaise volonté. Reconnue désormais par tous les auteurs sérieux qui abordent ce sujet, cette distinction est naturellement invoquée comme un argument primordial par tous ceux qui s’efforcent de faire reconnaître que la désobéissance civile n’est pas incompatible avec les lois et les institutions publiques (…). Le délinquant de droit commun par contre, même s’il appartient à une organisation criminelle, agit uniquement dans son propre intérêt ; il refuse de s’incliner devant la volonté du groupe, et ne cédera qu’à la violence des services chargés d’imposer le respect de la loi. Celui qui fait acte de désobéissance civile, tout en étant généralement en désaccord avec une majorité, agit au nom et en faveur d’un groupe particulier. Il lance un défi aux lois et à l’autorité établie à partir d’un désaccord fondamental, et non parce qu’il entend personnellement bénéficier d’un passe-droit.
Hannah ARENDT, Du Mensonge à la violence (1972)
Questions :
- Dégager l’idée principale du texte et montrer comment elle est établie.
- Expliquer : a) « celui qui fait acte de désobéissance civile en défiant les autorités et s’institue lui-même porteur d’un autre droit. » ; b) « [il y a une] distinction nécessaire entre une violation publique et ouverte de la loi et une violation clandestine » ; c) « Le délinquant de droit commun, (…) agit uniquement dans son propre intérêt ».
- Désobéir aux lois peut-il être juste?
Sujet tombé au Baccalauréat à Pondichery, 2017
The Man who shot Liberty Valance : une analyse ciné-philosophique, par les TL (2017)
Le 31 janvier 2017, dans le cadre du programme Lycéens au cinéma, les élèves de Terminale L ont procédé à l’analyse philosophique du western de John Ford : The Man who shot Liberty Valance (1962).
Dossier pédagogique (conçu par le CNC)
Bande-annonce du film :
Rousseau : Faut-il limiter le droit de propriété ?
Le droit de premier occupant, quoique plus réel que celui du plus fort, ne devient un vrai droit qu’après l’établissement de celui de propriété. Tout homme a naturellement droit à tout ce qui lui est nécessaire ; mais l’acte positif qui le rend propriétaire de quelque bien l’exclut de tout le reste. Sa part étant faite il doit s’y borner, et n’a plus aucun droit à la communauté. Voilà pourquoi le droit de premier occupant, si faible dans l’état de nature, est respectable à tout homme civil. On respecte moins dans ce droit ce qui est à autrui que ce qui n’est pas à soi.
En général, pour autoriser sur un terrain quelconque le droit de premier occupant, il faut les conditions suivantes. Premièrement que ce terrain ne soit encore habité par personne ; secondement qu’on n’en occupe que la quantité dont on a besoin pour subsister ; en troisième lieu qu’on en prenne possession, non par une vaine cérémonie, mais par le travail et la culture, seul signe de propriété qui au défaut de titres juridiques doive être respecté d’autrui.
En effet, accorder au besoin et au travail le droit de premier occupant, n’est-ce pas l’étendre aussi loin qu’il peut aller ? Peut-on ne pas donner des bornes à ce droit ? Suffira-t-il de mettre le pied sur un terrain commun pour s’en prétendre aussitôt le maître ? Suffira-t-il d’avoir la force d’en écarter un moment les autres hommes pour leur ôter le droit d’y jamais revenir ? Comment un homme ou un peuple peut-il s’emparer d’un territoire immense et en priver tout le genre humain autrement que par une usurpation punissable, puisqu’elle ôte au reste des hommes le séjour et les aliments que la nature leur donne en commun ? Quand Nuñez Balbao prenait sur le rivage possession de la mer du Sud et de toute l’Amérique méridionale au nom de la couronne de Castille, était-ce assez pour en déposséder tous les habitants et en exclure tous les princes du monde ? Sur ce pied-là ces cérémonies se multipliaient assez vainement, et le Roi catholique n’avait tout d’un coup qu’à prendre de son cabinet possession de tout l’univers ; sauf à retrancher ensuite de son empire ce qui était auparavant possédé par les autres princes.
ROUSSEAU, Du Contrat social (1762), I, chapitre 9 “Du domaine réel”, §§2-4
Questions :
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Entre le droit du premier occupant et le droit de propriété, lequel est le plus avantageux ? Justifiez.
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A l’état de nature, à qui appartient légitimement la terre selon Rousseau ? Justifiez.
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Justifiez les 2e et 3e critères de propriété formulés par Rousseau.
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Expliquez les principales critiques formulées par Rousseau dans le dernier paragraphe.
Une explication orale proposée par Agathe, Antoine et Chloé (TL, 2017) :
Une autre explication orale proposée par Farah, Nina, Claire & Maxine (TL, 2018)
Pour approfondir :
Rousseau : Peut-on volontairement devenir esclave ?
Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde et inconcevable ; un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens. Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de fous : la folie ne fait pas droit.
Quand chacun pourrait s’aliéner lui-même, il ne peut aliéner ses enfants ; ils naissent hommes et libres ; leur liberté leur appartient, nul n’a droit d’en disposer qu’eux. Avant qu’ils soient en âge de raison le père peut en leur nom stipuler des conditions pour leur conservation, pour leur bien-être ; mais non les donner irrévocablement et sans condition ; car un tel don est contraire aux fins de la nature et passe les droits de la paternité. Il faudrait donc pour qu’un gouvernement arbitraire fut légitime qu’à chaque génération le peuple fût le maître de l’admettre ou de le rejeter : mais alors ce gouvernement ne serait plus arbitraire.
Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, et que son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens ?
ROUSSEAU, Du Contrat social (1762), I, chapitre 4 “De l’esclavage” §§4-6
Questions :
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Quel argument juridique Rousseau emploie-t-il au sujet de la folie dans le 1er paragraphe ? Expliquez.
- D’après le 2e paragraphe, les parents sont-ils responsables de la vie et de la liberté de leurs enfants ? Expliquez.
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Expliquez : « c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à leur volonté » (à l’aide d’un exemple).
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Quelle critique Rousseau adresse-t-il au contrat maître / esclave ?
Une explication orale proposée par Margaux, Kendra et Camille (TL, 2017) :
Une autre explication orale proposée par Paloma, Morgane & Yanis (TL, 2018) :
Pour approfondir :
Rousseau : Le droit peut-il être fondé sur la force ?
Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe : Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?
Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.
Obéissez aux puissances*. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ? Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner ? car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.
Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes.
ROUSSEAU, Du Contrat social (1762), I, chapitre 3 “Du droit du plus fort”
* “obéissez aux puissances” : Rousseau cite ici Paul dans la Bible :
“Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi”
Paul, Epître aux Romains, 13:1
Le texte lu :
Questions :
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Quel problème Rousseau pose-t-il à propos de l’expression « droit du plus fort » ? Expliquez.
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Quel type de raisonnement Rousseau utilise-t-il dans le 2e paragraphe ? Reconstituez-le.
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Un coup d’Etat est-il légal ? est-il légitime ? Justifiez.
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Rousseau veut-il justifier cette phrase « obéissez aux puissances » ? Expliquez.
Une explication orale proposée par Kévin et Guillaume (TL, février 2017) :
Une autre explication orale proposée par Emma, Bénédicte, Emilie & Hugo (TL, 2018) :
Troisième partie
Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.
Quatrième partie
Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ?
Cinquième partie
Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner ? car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.
Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes.
SYNTHÈSE
Après avoir répondu à toutes ces questions, rédigez une synthèse du texte :
- Quelle idée reçue Rousseau remet-il en question dans ce texte ?
- Formulez la question que se pose Rousseau dans ce texte
- Formulez la thèse que soutient Rousseau
- Proposez un découpage du texte en plusieurs moments
- Quelle objection pourrait-on adresser à Rousseau ?