Rousseau : Peut-on être insensible à la souffrance d’autrui ?

[§35] Il y a d’ailleurs un autre principe (…) qui, ayant été donné à l’homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, ou le désir de se conserver avant la naissance de cet amour, tempère l’ardeur qu’il a pour son bien-être par une répugnance innée à voir souffrir son semblable. (…)  Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles, et sujets à autant de maux que nous le sommes ; vertu d’autant plus universelle et d’autant plus utile à l’homme qu’elle précède en lui l’usage de toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles. Sans parler de la tendresse des mères pour leurs petits, et des périls qu’elles bravent pour les en garantir, on observe tous les jours la répugnance qu’ont les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant ; un animal ne passe point sans inquiétude auprès d’un animal mort de son espèce ; il y en a même qui leur donnent une sorte de sépulture ; et les tristes mugissements du bétail entrant dans une boucherie annoncent l’impression qu’il reçoit de l’horrible spectacle qui le frappe. (…)

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Malebranche : Les hommes sont-ils tous raisonnables ?

Je vois, par exemple, que deux fois deux font quatre, et qu’il faut préférer son ami à son chien ; et je suis certain qu’il n’y a point d’homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or je ne vois point ces vérités dans l’esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu’il y ait une Raison universelle qui m’éclaire, et tout ce qu’il y a d’intelligences. Car si la raison que je consulte n’était pas la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes est une raison universelle.

Je dis : quand nous rentrons dans nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu’un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu’elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent.

MALEBRANCHE, De la Recherche de la Vérité (1675), Xe éclaircissement

  • Comparez les 2 exemples des lignes 1-2 : Pourquoi leur association est-elle surprenante ? Quel est leur point commun ?
  •  Justifiez pourquoi « je ne vois point ces vérités dans l’esprit des autres ». Que peut-on en déduire à propos des différents esprits humains ?
  • Pourquoi Malebranche choisit-il l’exemple des Chinois ? Que montre-t-il grâce à cet exemple ?
  • Dans l’exemple du 2e paragraphe, expliquez en quoi l’homme en question est motivé par des raisons « particulières ». Pourquoi peut-on dire qu’il n’est pas raisonnable ?

Platon : Peut-on apprendre de nouvelles connaissances ?

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[Dans ce dialogue, Socrate et Ménon cherchent à définir la vertu.]

Ménon : Et de quelle façon chercheras-tu, Socrate, cette réalité dont tu ne sais absolument pas ce qu’elle est ? Laquelle des choses qu’en effet tu ignores, prendras-tu comme objet de ta recherche ? Et si même, au mieux, tu tombais dessus, comment saurais-tu qu’il s’agit de cette chose que tu ne connaissais pas ? Continuer la lecture

Locke : Nos idées ont-elles une origine innée ?

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Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase (tabula rasa), vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement. Continuer la lecture

Leibniz : Nos idées ont-elles une origine innée ?

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Naturellement rien ne nous entre dans l’esprit par le dehors, et c’est une mauvaise habitude que nous avons de penser comme si notre âme recevait quelques espèces messagères et comme si elle avait des portes et des fenêtres. Nous avons dans l’esprit toutes ces formes, et même de tout temps, parce que l’esprit exprime toujours toutes ses pensées futures, et pense déjà confusément à tout ce qu’il pensera jamais distinctement. Et rien ne nous saurait être appris, dont nous n’ayons déjà dans l’esprit l’idée qui est comme la matière dont cette pensée se forme. Continuer la lecture

Kant : Faut-il penser par soi-même ?

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Qu’est-ce que les Lumières ?

Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont il est lui-même responsable. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la direction d’un autre. Sapere aude !* Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. Continuer la lecture