Dawkins : Peut-on créer à partir de rien ?

 Qu’y a-t-il à présent de si spécial à propos des gènes ? La réponse réside dans le fait que ce sont des réplicateurs. (…) 

Je pense qu’un nouveau type de réplicateur est apparu récemment sur notre planète ; il nous regarde bien en face. C’est encore un enfant, il se déplace maladroitement dans la soupe originelle, mais subit déjà un changement évolutionnaire à une cadence qui laisse les vieux gènes pantelants et loin derrière. 

La nouvelle soupe est celle de la culture humaine. Nous avons besoin d’un nom pour ce nouveau réplicateur, d’un nom qui évoque l’idée d’une unité de transmission culturelle ou d’une unité d’imitation. « Mimème » vient d’une racine grecque, mais je préfère un mot d’une seule syllabe qui sonne un peu comme « gène », aussi j’espère que mes amis, épris de classicisme, me pardonneront d’abréger mimème en mème. Si cela peut vous consoler, pensons que mème peut venir de « mémoire » ou du mot français « même » qui rime avec « crème » (qui veut dire le meilleur, le dessus du panier). 

On trouve des exemples de mèmes dans la musique, les idées, les phrases clés,  la mode vestimentaire, la manière de faire des pots ou de construire des arches. Tout comme les gènes se propagent dans le pool génique en sautant de corps en corps par le biais des spermatozoïdes et des ovocytes, les mèmes se propagent dans le pool des mèmes, en sautant de cerveau en cerveau par un processus qui, au sens large, pourrait être qualifié d’imitation. Si un scientifique, dans ce qu’il lit ou entend, trouve une bonne idée, il la transmet à ses collègues et à ses étudiants, la mentionnant dans ses articles et dans ses cours. Si l’idée éveille de l’intérêt, on peut dire qu’elle se propage elle-même d’un cerveau à l’autre. Comme mon collègue N.K. Humphrey l’a résumé clairement :

« […] les mèmes devraient être considérés techniquement comme des structures vivantes, et non pas simplement comme des métaphores. Lorsque vous plantez un mème fertile dans mon esprit, vous parasitez littéralement mon cerveau, le transformant ainsi en un véhicule destiné à propager              le mème, exactement comme un virus peut parasiter le mécanisme génétique d’une cellule hôte. Ce n’est pas seulement une façon de parler. Le mème pour, par exemple, “la croyance en la vie après la mort” existe physiquement à plusieurs millions d’exemplaires, comme l’est une structure dans le système nerveux humain ». (…)

L’imitation au sens large est la façon dont les mèmes peuvent se répliquer. Mais, de même qu’il existe des gènes qui n’arrivent pas à se répliquer correctement, certains mèmes réussissent mieux dans le pool mémique que d’autres. C’est analogue à la sélection naturelle. J’ai parlé d’exemples particuliers de qualités qui rendent la valeur de survie élevée parmi les mèmes. Mais en général ce doivent être les mêmes que celles discutées à propos des réplicateurs du chapitre II : longévité, fécondité et fidélité de copie. La longévité de n’importe quelle copie d’un mème est probablement relativement peu importante, comme c’est le cas pour n’importe quelle copie d’un gène. La copie de l’air « Auld Lang Syne » (ce n’est qu’un au revoir, mes frères) qui existe dans mon cerveau ne durera que ce que durera mon existence. La copie du même air imprimée dans mon volume du Scottish Student’s Song Book ne va probablement pas durer beaucoup plus longtemps. Mais j’espère que, dans les siècles à venir, des copies du même air seront imprimées sur papier et dans le cerveau des gens. Comme dans le cas des gènes, la fécondité est beaucoup plus importante que la longévité de copies particulières. Si le même est une idée scientifique, sa dispersion dépendra de la façon dont les scientifiques la jugeront acceptable ; une mesure grossière de sa valeur de survie pourrait être obtenue en comptant le nombre de fois qu’elle a été citée dans les journaux scientifiques de ces dernières années. S’il s’agit d’un air populaire, sa dispersion par le pool mémique peut être estimée au nombre de gens que l’on entend le siffler dans la rue. S’il s’agit d’un style de chaussures de femmes, la population « méméticienne » pourra utiliser les statistiques de ventes dans les magasins de chaussures. Certains mèmes, comme certains gènes, réalisent à court terme de brillants succès en se répandant rapidement, mais ils ne durent pas longtemps dans le pool mémique. Les chansons populaires et les talons aiguilles n’en sont que des exemples. D’autres, tels que les lois religieuses juives, peuvent continuer de se propager pendant des milliers d’années, habituellement à cause de la grande pérennité des écrits. 

Cela m’amène à exprimer la troisième qualité générale qui fait qu’un réplicateur est bon : la fidélité de copie. Je dois admettre ici que je suis sur un terrain glissant. À première vue, on pourrait croire que les mèmes ne sont pas du tout des réplicateurs extrêmement fidèles. Chaque fois qu’un scientifique entend parler d’une idée et qu’il la transmet à quelqu’un d’autre, il y a beaucoup de chances pour qu’il la transforme un peu. Je n’ai fait aucun secret de ce que je dois aux idées de R.L. Trivers pour la rédaction de ce livre. Pourtant, je ne les ai pas répétées en utilisant ses propres termes. Je les ai déformées à mon idée, les mélangeant avec celles d’autres personnes et les miennes. Ces mèmes vous sont transmis sous forme modifiée. Cela semble complètement à l’opposé du type « tout ou rien » qui caractérise la transmission des gènes. Tout se passe comme si la transmission mémique était tout le temps l’objet de fusions et de mutations..

Richard DAWKINS, Le gène égoïste (1976)Chapitre 11 – Les « mèmes », nouveaux réplicateurs

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