Personne ne met théoriquement en doute l’importance qu’il y a à donner de bonnes habitudes de pensée aux enfants à l’école. Toutefois, cette unanimité est plus théorique que pratique ; même théoriquement, elle ne va pas jusqu’à reconnaître que le devoir exclusif de l’école envers les élèves, en ce qui concerne leur esprit (mis à part la formation de certaines capacités musculaires), soit de développer leur capacité de penser. Le morcellement de l’enseignement en diverses fins comme l’acquisition d’un savoir-faire (lire, écrire, dessiner, réciter), l’acquisition d’informations (en histoire et géographie) et, finalement l’apprentissage de la pensée, témoigne de l’inefficacité avec laquelle nous réalisons ces fins. La pensée qui n’est pas liée à l’accroissement de l’efficacité dans l’action et à la connaissance plus approfondie de soi et du monde dans lequel on vit, est défectueuse en tant que pensée. En outre, le savoir-faire acquis en dehors de la pensée est coupé de toute signification des fins auxquelles il est destiné. Il laisse par conséquent l’homme à la merci de ses habitudes routinières et du contrôle autoritaire de ceux qui savent ce qu’ils veulent et qui ne sont pas trop scrupuleux sur les moyens de l’obtenir. Le savoir coupé de l’action réfléchie est un savoir mort, un poids écrasant pour l’esprit. Parce qu’il singe la connaissance et, de ce fait, sécrète le poison de la vanité, il est un des obstacles les plus puissants au développement ultérieur de l’intelligence. La seule voie qui conduise directement à l’assimilation croissante des méthodes d’enseignement consiste à se concentrer sur les conditions qui requièrent, favorisent et mettent à l’épreuve la pensée. Penser est la méthode de l’enseignement intelligent, de l’enseignement qui utilise et gratifie l’esprit. Nous parlons avec raison de la méthode de penser, mais la chose importante à avoir présente à l’esprit concernant la méthode est que penser est une méthode, la méthode de l’expérience intelligente dans le cours qu’elle prend. (…)
Il faut :
1) que l’élève soit dans une situation d’expérience authentique, que l’activité à laquelle il s’intéresse pour elle-même soit continue ;
2) qu’un problème réel se pose dans cette situation pour stimuler la pensée ;
3) que l’élève possède le savoir et fasse les observations nécessaires pour aborder le problème ;
4) qu’il suggère des solutions qu’il aura la responsabilité de développer de manière méthodique ;
5) qu’il ait l’occasion de mettre ses idées à l’épreuve en les appliquant pour clarifier leur signification et découvrir lui-même leur validité.
John DEWEY, Démocratie et éducation (1916), chap. 12 La pensée dans l’éducation