Freud : Pouvons-nous croire tout ce qui nous plaît ?

Sigmund Freud

Une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur, elle n’est pas non plus nécessairement une erreur. L’opinion d’Aristote selon laquelle la vermine se développerait à partir des déchets – opinion à laquelle le peuple dans son ignorance reste aujourd’hui encore attaché –, était une erreur, tout comme celle d’une génération antérieure de médecins qui voulait que le tabes dorsalis* soit la conséquence d’une débauche sexuelle. Il serait abusif d’appeler ces erreurs illusions. En revanche, ce fut une illusion de Christophe Colomb d’avoir cru découvrir une nouvelle voie maritime vers les Indes. La part que prend son souhait à cette erreur est très nette. On peut qualifier d’illusion l’affirmation de certains nationalistes selon laquelle les Indo-Germains seraient la seule race humaine capable de culture, ou bien la croyance selon laquelle l’enfant serait un être sans sexualité, croyance qui n’a finalement été détruite que par la psychanalyse.

Il reste caractéristique de l’illusion qu’elle dérive de souhaits humains ;  elle se rapproche à cet égard de l’idée délirante en psychiatrie, mais elle s’en distingue par ailleurs, indépendamment de la construction plus compliquée de l’idée délirante. Dans l’idée délirante, nous soulignons comme essentielle la contradiction avec la réalité effective ; l’illusion, elle, n’est pas nécessairement fausse, c’est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité. Une jeune fille de la bourgeoisie peut, par exemple, se créer l’illusion qu’un prince viendra la chercher. C’est possible, quelques cas de ce genre se sont produits. Qu’un jour le Messie vienne et fonde un âge d’or, c’est bien moins vraisemblable ; selon sa position personnelle, celui qui jugera de cette croyance la classera comme illusion ou comme l’analogue d’une idée délirante. Il n’est d’ailleurs pas facile de trouver des exemples d’illusions qui se soient révélées vraies. Telle pourrait être néanmoins l’illusion des alchimistes de pouvoir transformer tous les métaux en or. Le souhait d’avoir énormément d’or, d’avoir tout l’or possible, est très émoussé par la compréhension que nous avons aujourd’hui des conditions de la richesse, et cependant la chimie ne tient plus la transmutation des métaux en or pour impossible. Nous appelons donc une croyance illusion lorsque, dans sa motivation, l’accomplissement de souhait vient au premier plan, et nous faisons là abstraction de son rapport à la réalité effective, tout comme l’illusion elle-même renonce à être accréditée.

Sigmund FREUD, L’avenir d’une illusion (1927) VI, §2

* tabes dorsalis : maladie sexuellement transmissible

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