Gandhi : Le recours à la violence peut-il parfois être légitime ?

Ahimsâ ne signifie pas uniquement ne pas tuer. Himsâ signifie causer de la souffrance ou détruire une vie, soit par colère, soit sous l’empire de l’égoïsme, soit avec le désir de faire du mal. S’abstenir d’agir ainsi est ahimsâ.

La non-violence complète est absence complète de mauvais vouloir envers tout ce qui vit. La non-violence, sous sa forme active, est bonne volonté pour tout ce qui vit. Elle est amour parfait.

La caractéristique essentielle de la violence est que derrière la pensée,  la parole ou l’action, il doit y avoir une intention violente, c’est-à-dire un désir de faire du mal au soi-disant adversaire. (…)

La non-violence ne consiste pas à renoncer à toute lutte réelle contre le mal. La non-violence telle que je la conçois est au contraire contre le mal une lutte plus active et plus réelle que la loi du talion, dont la nature même a pour effet de développer la perversité. J’envisage pour lutter contre ce qui est immoral une opposition mentale et par conséquent morale. Je cherche à émousser complètement l’épée du tyran, non pas en la heurtant avec un acier plus effilé, mais en trompant son attente de me voir lui offrir une résistance physique. Il trouvera chez moi une résistance de l’âme qui échappera à son étreinte. Cette résistance d’abord l’aveuglera et ensuite l’obligera à s’incliner. Et le fait de s’incliner n’humiliera pas l’agresseur, mais l’élèvera. On peut soutenir que ce serait là un état idéal. Et c’en est un !

J’ai constaté que la vie persiste au sein même de la destruction, et qu’il doit par conséquent exister une loi plus haute que celle de la destruction. C’est uniquement sous une telle loi qu’une société bien organisée serait compréhensible et que la vie vaudrait la peine d’être vécue. Or si telle est la loi de la vie, nous devons l’appliquer dans notre existence journalière. Partout où il y a conflit, partout où vous êtes en face d’un opposant, triomphez de lui par l’amour. C’est selon cette méthode rudimentaire    que j’ai fait entrer cette loi dans ma vie. Cela ne signifie pas que tous mes problèmes s’en soient trouvés résolus. Mais j’ai vu que cette loi de l’amour se montre plus efficace que ne l’a jamais été la loi de la destruction. (…)

Nul être humain n’est trop mauvais pour pouvoir être sauvé. Nul être humain n’est assez parfait pour avoir le droit de tuer celui qu’il considère à tort comme entièrement mauvais.

L’ahimsâ est l’extrême limite du pardon. Et le pardon est le propre de l’homme courageux. L’ahimsâ n’est pas compatible avec la crainte.

La non-violence a pour condition préalable le pouvoir de frapper. C’est un réfrénement conscient et délibéré du désir de vengeance que l’on ressent. La vengeance est toujours supérieure à la soumission passive, efféminée, impuissante, mais la vengeance aussi est faiblesse. Le désir de vengeance naît de la crainte d’un mal imaginaire ou réel. Celui qui ne craint nul homme sur terre trouverait pénible de devoir se mettre en colère contre quelqu’un qui essaie en vain de lui faire du mal.

La non-violence ne se réalise pas mécaniquement. Elle est la plus haute qualité du cœur et elle s’acquiert par la pratique.

Il faut un entraînement assez ardu pour parvenir à un état mental de non-violence. Dans la vie quotidienne, il faut se soumettre à une discipline, un peu comme celle du soldat, même si l’on n’en a pas le goût. J’admets cependant que sans une coopération cordiale de l’esprit, l’observation purement extérieure de la non-violence ne serait qu’un masque, néfaste aussi bien pour celui qui le porte   que pour autrui. On n’arrive à l’état parfait que lorsque l’esprit, le corps, la parole sont convenablement coordonnés. Mais il y a toujours une lutte mentale intense.

Cherchons maintenant quelles sont les racines mêmes de l’ahimsâ. C’est l’oubli de soi le plus absolu. Oubli de soi signifie qu’on s’est complètement libéré de toute préoccupation pour son corps. Si un homme décide de se connaître soi-même, c’est-à-dire de réaliser la Vérité, il ne peut le faire qu’en se détachant complètement de son corps, c’est-à-dire en faisant en sorte que toute autre créature ait vis-à-vis de lui un sentiment de sécurité. Telle est la voie de l’ahimsâ.

Pour devenir une force réelle, la non-violence doit commencer avec l’esprit. La non-violence qui n’embrasse que le corps, et dans laquelle l’esprit ne collabore pas, est celle du faible et du lâche ; il ne peut en sortir aucune puissance. Si nous entretenons dans notre coeur la malice et la haine et que nous faisons semblant de ne pas vouloir la vengeance, celle-ci devra faire retour sur nous, et elle nous conduira à notre perte. Pour que l’abstention de toute violence uniquement physique ne soit pas nocive, il faut au moins ne pas avoir de pensée haineuse, même si nous ne pouvons développer en nous un amour actif. Tous les chants, tous les discours qui poussent à la haine doivent être mis à l’index.

Il est déjà noble de défendre son bien, son honneur et sa religion à la pointe de l’épée. Il est plus noble encore de les défendre sans chercher à faire de mal au malfaiteur. Mais il est vil, antinaturel et déshonorant d’abandonner son poste et, pour sauver sa peau, de laisser son bien, son honneur et sa religion à la merci du malfaiteur.

(…) La fibre la plus coriace doit s’amollir dans le feu de l’amour. Si elle ne fond pas, c’est que le feu n’est pas assez fort.

Le cœur le plus endurci et l’ignorance la plus crasse doivent disparaître devant le soleil levant de la souffrance patiente et sans méchanceté.

Je m’oppose à la violence parce que lorsqu’elle semble produire le bien, le bien qui en résulte n’est que transitoire, tandis que le mal produit est permanent.

La violence est toujours la violence, et la violence est un péché. Mais ce qui est inévitable n’est pas considéré comme un péché.

Lorsqu’on a le choix uniquement entre la lâcheté et la violence, je crois que je conseillerais la violence… Mais je suis persuadé que la non-violence est infiniment supérieure à la violence, je crois le pardon beaucoup plus noble que le châtiment.

Mohandas Karamchand GANDHI, Lettres à l’Ashram (1938)

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