Dans le monde entier, l’école nuit à l’éducation parce qu’on la considère comme seule capable de s’en charger. Et beaucoup en viennent à croire que ses nombreux échecs prouvent que l’éducation est une tâche coûteuse, d’une complexité incompréhensible. L’école s’approprie l’argent, les hommes et les bonnes volontés disponibles dans le domaine de l’éducation, et, jalouse de son monopole, s’efforce d’interdire à d’autres institutions d’assumer des tâches éducatives. (…)
Ce que l’on a appris nous est souvent venu comme par hasard, et ce que l’on a voulu consciemment apprendre n’a que peu de rapport avec un programme d’enseignement. Ainsi l’enfant a découvert dès son plus jeune âge le langage, sans qu’il lui fût enseigné. (…)
Un véritable système éducatif devrait se proposer trois objectifs. À tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes, et ce à n’importe quelle époque de leur existence. Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir. Enfin, il s’agit de permettre aux porteurs d’idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l’opinion publique, de se faire entendre. (…)
Quand on pense à des possibilités éducatives, on se réfère au catalogue des programmes, définis par l’enseignement, alors qu’il faut viser le contraire : définir quatre organismes grâce auxquels celui qui veut s’éduquer pourra bénéficier des ressources qu’il juge nécessaire.
1. Un premier service serait chargé de mettre à disposition des « objets éducatifs », c’est-à-dire les instruments, les machines, les appareils utilisés pour l’éducation formelle. Une partie d’entre eux seraient présentés dans les bibliothèques, les musées, les laboratoires, les salles d’exposition ; d’autres, utilisés dans les activités journalières, par exemple dans les usines, les aéroports, les fermes…, pourraient être accessibles soit pendant une période d’apprentissage, soit en-dehors des heures de fonctionnement normal.
2. Un service d’échange des connaissances tiendrait à jour une liste des personnes désireuses de faire profiter autrui de leurs compétences, mentionnant les conditions dans lesquelles elles souhaiteraient le faire.
3. Un organisme faciliterait les rencontres entre « pairs ». Véritable réseau de communication, il enregistrerait la liste des désirs en matière d’éducation de ceux qui s’adresseraient à lui pour trouver un compagnon de travail ou de recherche.
4. Des services de référence en matière d’éducateurs (quels qu’ils soient) permettraient d’établir une sorte d’annuaire où trouver les adresses de ces personnes, professionnels ou amateurs, faisant ou non partie d’un organisme. (…) Pour qu’un homme puisse grandir, ce dont il a besoin c’est le libre accès aux choses, aux lieux, aux méthodes, aux événements, aux documents. Il a besoin de voir, de toucher, de manipuler, de saisir tout ce qui l’entoure dans un milieu qui ne soit pas dépourvu de sens. Cet accès lui est aujourd’hui refusé.
Ivan ILLICH, Une société sans école (1970)