Le romancier Hugh Vereker explique son secret à un critique littéraire :
Il y a dans mon oeuvre une idée sans laquelle je n’aurais pas fait le moindre cas d’un pareil travail. C’est la plus belle et la plus solide intention de toutes, et il m’a fallu pour la mener à bien, je crois, faire des merveilles de patience et d’ingéniosité. Je devrais laisser dire cela à d’autres ; mais le fait que personne d’autre ne le dise est justement le sujet de notre discussion. Il s’étend, ce petit truc à moi, de livre en livre, et tout le reste, comparativement, joue à la surface. L’ordre, la forme, la texture de mes livres en constitueront peut-être un jour pour les initiés une représentation complète. C’est donc naturellement la chose que doivent chercher les critiques. Il me semble même, ajouta mon visiteur avec un sourire, que c’est la chose que doivent trouver les critiques. »
C’était peut-être en effet notre responsabilité. « Vous appelez cela votre petit truc ?
– Oh, c’est seulement par petite pudeur. Il s’agit vraiment d’un canevas exquis.
– Et vous affirmez que vous avez exécuté ce canevas ?
– La façon dont je l’ai exécuté est la chose de ma vie qui me fait penser un peu de bien de moi-même. (…)
– Est-ce que vous seriez vous-même capable, plume en main, de le définir clairement… de le nommer, de le désigner, de le formuler ?
– Oh, si seulement, plume en main, j’étais un de vous autres ! soupira-t-il avec ardeur.
– Ce serait une grande chance pour vous, évidemment. Mais pourquoi nous mépriser, nous autres, de ne pas faire ce que vous-même ne pouvez pas faire ?
– Que je ne peux pas faire ? »Il écarquilla les yeux. « Ne l’ai-je donc pas fait tout au long de vingt volumes ? Je le fais à ma façon, continua-t-il. Vous, vous ne le faites pas à la vôtre.
– La nôtre est diablement difficile, déclarai-je piteusement.
– La mienne aussi. Chacun a fait son choix. Personne n’y a été forcé.”
Henry JAMES, Le motif dans le tapis (1896), chapitre III