Tout acte qui porte atteinte au droit d’un homme mérite un châtiment à la faveur duquel le crime est vengé dans la personne de celui qui l’a accompli. Or le châtiment n’est pas un acte relevant de l’autorité privée de l’offensé, mais c’est un acte d’une cour de justice distincte de lui ; et si nous considérons les hommes dans un état juridique, mais qui soit établi selon les seules lois de la raison, personne n’a le droit d’infliger des châtiments, ni de venger une offense subie par des hommes, si ce n’est celui qui est aussi le suprême législateur moral, et seul lui (c’est-à-dire Dieu) peut dire : “La vengeance m’appartient ; c’est moi qui ferait payer.”
C’est donc un devoir de vertu, non seulement même de ne pas faire de la haine, par simple vengeance, une réponse à l’hostilité des autres, mais encore de ne pas faire appel pour se venger au juge du monde – en partie parce que l’homme a accumulé sur lui assez de fautes dont il est responsable pour avoir lui-même fortement besoin d’être pardonné, en partie et avant tout parce qu’aucun châtiment, émanant de qui que ce soit, ne doit être infligé par haine. Raison pour laquelle le pardon est un devoir de l’homme.
KANT, Métaphysique des moeurs. Doctrine de la vertu (1797), I, II, §36, pp.330-331