La plus grande atteinte portée au devoir de l’homme envers lui-même considéré uniquement comme être moral, c’est le contraire de la véracité : le mensonge. (…)
Le mensonge est l’oubli et pour ainsi dire l’anéantissement de sa dignité d’homme. Un homme qui ne croit pas lui-même ce qu’il dit à un autre a encore moins de valeur que s’il était une simple chose ; car de la propriété que possède cette dernière de pouvoir servir à quelque chose, un autre homme peut en tout cas faire quelque usage, parce que cette chose est une réalité et constitue un donné : en revanche, la communication de ses idées par l’intermédiaire de mots qui contiennent (intentionnellement) le contraire de ce qu’a par là en tête celui qui parle, c’est une fin directement opposée à la finalité naturelle de communiquer ses pensées, par conséquent un renoncement à sa personnalité. (…)
Le mensonge n’a même pas besoin d’être préjudiciable à autrui pour être déclaré répréhensible ; car si tel était le cas, il serait violation du droit d’autrui. La cause peut aussi en être simplement la légéreté, voire la bonté de coeur, et même on peut viser à travers le mensonge un fin réellement bonne : pourtant, l’attitude qui consiste à s’y abandonner constitue, par sa simple forme, un crime de l’homme envers sa propre personne et une indignité qui ne peut que rendre l’individu méprisable à ses propres yeux.
KANT, Métaphysique des moeurs. Doctrine de la vertu (1797), I, I, §9, pp.283-285