L’autorité législative ou suprême n’a point droit d’agir par des décrets arbitraires, et formés sur-le-champ, mais est tenue de dispenser la justice, et de décider des droits des sujets par les lois publiées et établies, et par des juges connus et autorisés. Car les lois de la nature n’étant point écrites, et par conséquent ne pouvant se trouver que dans le coeur des hommes, il peut arriver que, par passion, ou par intérêt, ils en fassent un très mauvais usage, les expliquent et les appliquent mal, et qu’il soit difficile de les convaincre de leur erreur et de leur injustice, s’il n’y a point de juges établis ; et, par ce moyen, le droit de chacun ne saurait être déterminé comme il faut, ni les propriétés être mises à couvert de la violence, chacun se trouvant alors juge, interprète et exécuteur dans sa propre cause. Celui qui a le droit de son côté, n’ayant d’ordinaire à employer que son seul pouvoir, n’a pas assez de force pour se défendre contre les injures, ou pour punir les malfaiteurs. Afin de remédier à ces inconvénients qui causent bien du désordre dans les propriétés des particuliers, dans l’état de nature, les hommes s’unissent en société, afin qu’étant ainsi unis, ils aient plus de force et emploient toute celle de la société pour mettre en sûreté et défendre ce qui leur appartient en propre, et puissent avoir des lois stables, par lesquelles les biens propres soient déterminés, et que chacun reconnaisse ce qui est sien. C’est pour cette fin que les hommes remettent à la société dans laquelle ils entrent, tout leur pouvoir naturel, et que la communauté remet le pouvoir législatif entre les mains de ceux qu’elle juge à propos, dans l’assurance qu’ils gouverneront par les lois établies et publiées : autrement la paix, le repos et les biens de chacun seraient toujours dans la même incertitude et dans les mêmes dangers qu’ils étaient dans l’état de nature.
Un pouvoir arbitraire et absolu, et un gouvernement sans lois établies et stables, ne saurait s’accorder avec les fins de la société et du gouvernement. (…)
Mais le gouvernement, entre quelques mains qu’il se trouve, étant confié sous cette condition, et pour cette fin, que chacun aura et possédera en sûreté ce qui lui appartient en propre ; quelque pouvoir qu’aient ceux qui gouvernent de faire des lois pour régler les biens propres de tous les sujets, et terminer entre eux toutes sortes de différends, ils n’ont point droit de se saisir des biens propres d’aucun d’eux, pas même de la moindre partie de ces biens, contre le consentement du propriétaire.
John LOCKE, Second traité du gouvernement civil (1690), 11, §136
Questions :
- Selon Locke, que manque-t-il à l’état de nature ? Expliquez.
- Quelle est la seule fonction de l’Etat, selon Locke ? Justifiez.
- Selon Locke, que n’a pas le droit de faire l’Etat sur les citoyens ? Justifiez.
Ping : Continuité pédagogique | Atelier philo