Neill : Peut-on éduquer sans contraindre ?

Summerhill fut fondée en 1921. L’école est située dans le village de Leiston, dans le Suffolk, en Angleterre, à quelque cent soixante kilomètres de Londres. (…)

Je crois intimement que l’enfant est naturellement sagace et réaliste et que, laissé en liberté, loin de toute suggestion adulte, il peut se développer aussi complètement que ses capacités naturelles le lui permettent. Fidèle à cette logique, Summerhill reste un lieu où ceux qui ont les capacités naturelles et la volonté nécessaires pour devenir savants le deviendront, alors que ceux qui n’ont de capacités que pour balayer les rues les balaieront.   Mais, à ce jour, nous n’avons produit aucun balayeur de rues. Cette dernière remarque est d’ailleurs dénuée de tout snobisme, car je préférerais voir sortir de nos écoles d’heureux balayeurs de rues que des savants névrosés.

A quoi ressemble Summerhill ? Pour commencer, les cours y sont facultatifs.                       Les élèves peuvent les suivre ou ne pas les suivre, selon leur bon vouloir, et cela pour aussi longtemps qu’ils le désirent. (…)

Les élèves qui débutent à Summerhill dans la classe enfantine suivent les cours régulièrement depuis le jour de leur entrée, mais les élèves qui nous arrivent d’autres écoles jurent qu’ils ne se soumettront plus jamais à des devoirs détestables. Ils jouent, ils gênent les autres, mais ils refusent d’aller en classe. Cela dure parfois plusieurs mois. Le temps de convalescence est directement proportionnel à la haine qu’ils ont de leur ancienne école. (…)


A Summerhill, nous sommes tous égaux en droits. Personne ne se vautre sur mon piano à queue et je n’emprunte aucune bicyclette d’élève sans la permission de son propriétaire. Aux assemblées générales, le vote d’un enfant de six ans a le même poids que le mien. (…)


Une des questions que posent le plus fréquemment nos visiteurs est celle-ci : « L’élève ne se retournera-t-il pas un jour contre vous pour blâmer votre école de ne pas l’avoir forcé à apprendre les mathématiques ou la musique ? » Je réponds généralement que rien n’empêchera jamais un jeune Einstein de devenir Einstein, ni un jeune Beethoven de devenir Beethoven.

Le rôle de l’enfant, c’est de vivre sa propre vie – et non celle qu’envisagent ses parents anxieux, ni celle que proposent les éducateurs comme la meilleure. On ne peut pas faire apprendre la musique, ni aucune autre chose d’ailleurs, à un enfant sans le transformer    plus ou moins en un adulte privé de volonté.


Je tiens à répéter que frapper un enfant ne lui donne de la crainte que si le geste est associé avec un jugement moral, une idée de bien et de mal. Si un gamin dans la rue lançait une pierre sur mon chapeau pour le faire tomber, je l’attraperais et lui tirerais les oreilles ; le gamin trouverait certainement ma réaction naturelle. Mais si j’allais voir le principal de son école pour demander que le coupable soit puni, la peur introduite par la punition serait très mauvaise pour l’enfant. L’incident deviendrait alors une question de morale et de punition. L’enfant penserait qu’il a commis un crime. 

Il est facile d’imaginer la scène qui s’en suivrait. Je me tiendrais là, le chapeau à la main. Le principal, assis à son bureau, fixerait le gamin d’un œil sévère. Celui-ci baisserait la tête, intimidé par ses accusateurs. Par contre, en l’affrontant dans la rue, j’agirais en égal, je n’aurais plus de dignité mon chapeau une fois tombé. Je ne serais qu’un type parmi tant d’autres. Le gamin apprendrait une leçon salutaire, à savoir que s’il attaque un homme dans la rue celui-ci ripostera. 

Alexander S. NEILL, Libres enfants de Summerhill (1960) pp.23 ; 25-26 ; 30 ; 34 ; 221

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