Note : Dans ce texte, Euthydème et Dionysodore sont deux sophistes qui se vantent de pouvoir montrer, à volonté, une thèse et son contraire ; ils s’attaquent ici au jeune Clinias.
Euthydème commença à peu près comme cela :
— Clinias, de deux choses l’une, quels sont les hommes qui apprennent : les savants ou les ignorants ?
L’adolescent, devant une question aussi considérable, se mit à rougir, ne sachant que dire. Pendant ce temps, Dionysodore se pencha un peu vers moi, et le visage fort souriant, dit à mon oreille :
— Tu sais, Socrate, je te préviens : que le garçon réponde une chose ou l’autre, il sera réfuté.
Pendant qu’il me disait cela, Clinias répondit que ce sont les savants qui apprennent.
Alors, Euthydème reprit :
— Il y a des gens que tu appelles « enseignants », n’est-ce pas ?
Clinias fut d’accord.
— Or les enseignants, n’enseignent-ils pas à ceux qui apprennent ? comme le maître de musique et le maître d’école vous ont sans doute donné un enseignement, à toi et aux autres enfants, tandis que vous appreniez avec eux ?
Il approuva.
— Que se passait-il alors ? lorsque vous appreniez, vous ne connaissiez pas encore ce que vous appreniez, n’est-ce pas ? Alors, quand vous ne connaissiez pas cela, étiez-vous savants ?
— Non, certes pas, répondit-il.
— Ainsi, n’ayant rien appris, vous n’étiez pas savants ; donc vous appreniez ce que vous ne connaissiez pas : n’ayant rien appris, vous appreniez. Ce sont donc ceux qui n’ont rien appris qui apprennent, Clinias, et non pas ceux qui savent comme tu te le figures.
Dès qu’il eut prononcé ces mots, ceux qui formaient la suite de Dionysodore et d’Euthydème se mirent à applaudir et à rire.
Avant que l’adolescent eût bel et bien repris son souffle, Dionysodore rattrapa la balle :
— Qu’est-ce que cela veut dire, Clinias ? Chaque fois que le maître d’école vous faisait une dictée, quels étaient les enfants qui apprenaient, ceux qui savaient ou ceux qui n’apprenaient rien ?
— Ceux qui savaient, répondit Clinias.
— Ce sont donc les savants qui apprennent, Clinias, et non pas ceux qui n’apprennent rien. Quant à toi, à l’instant, tu n’as pas bien répondu à Euthydème.
Alors, à ce moment-là, les amoureux des deux hommes, qui chérissaient leur savoir, se mirent à rire très fort et à applaudir.
Or Euthydème, pour nous étonner encore davantage, ne lâchait pas le garçon, mais lui demanda :
— Parce que les gens qui apprennent apprennent-ils ce qu’ils connaissent ou ce qu’ils ne connaissent pas ?
Clinias répondit à Euthydème que ceux qui apprennent apprennent ce qu’ils ne connaissent pas. Et l’autre lui demanda, en usant du même exemple :
— Qu’est-ce à dire ? tu ne connais pas tes lettres ?
— Si, répondit-il.
— Donc, quand on te fait une dictée, ne sont-ce pas des lettres qu’on te dicte ? Ce qu’on te dicte, n’est-ce pas alors quelque chose de ce que tu connais, s’il est vrai que tu connaisses toutes les lettres ?
Il fut d’accord avec cela aussi.
— Alors, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce toi qui n’apprends pas ce qu’on pourrait te dicter, tandis que c’est celui qui ne connaît pas ses lettres qui l’apprend ?
— Non, répondit-il, c’est plutôt moi qui apprends !
— En ce cas, tu apprends ce que tu connais, s’il est bien vrai que tu connaisses toutes tes lettres. Tu n’as donc pas correctement répondu.
PLATON, Euthydème, 275d-277b
Questions :
- Clarifiez la structure du texte en recopiant le tableau suivant :
Quel sophiste est à l’oeuvre ? |
Que répond initialement Clinias ? |
Reformulez l’argument utilisé par le sophiste. | |
1) |
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2) |
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3) |
- Sur quel mot ambigu repose toute l’argumentation ici ? Expliquez l’ambiguïté.
- Après avoir levé l’ambiguïté, formulez une argumentation rigoureuse afin de répondre à la question initiale.