Or le souverain n’étant formé que des particuliers qui le composent n’a ni ne peut avoir d’intérêt contraire au leur ; par conséquent la puissance souveraine n’a nul besoin de garant envers les sujets, parce qu’il est impossible que le corps veuille nuire à tous ses membres, et nous verrons ci-après qu’il ne peut nuire à aucun en particulier. Le souverain, par cela seul qu’il est, est toujours tout ce qu’il doit être.
Mais il n’en est pas ainsi des sujets envers le souverain, auquel, malgré l’intérêt commun, rien ne répondrait de leurs engagements s’il ne trouvait des moyens de s’assurer de leur fidélité.
En effet chaque individu peut comme homme avoir une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu’il a comme citoyen. Son intérêt particulier peut lui parler tout autrement que l’intérêt commun ; son existence absolue et naturellement indépendante peut lui faire envisager ce qu’il doit à la cause commune comme une contribution gratuite, dont la perte sera moins nuisible aux autres que le payement n’en est onéreux pour lui, et regardant la personne morale qui constitue l’Etat comme un être de raison parce que ce n’est pas un homme, il jouirait des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet, injustice dont le progrès causerait la ruine du corps politique.
Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre ; car telle est la condition qui donnant chaque citoyen à la Patrie le garantit de toute dépendance personnelle ; condition qui fait l’artifice et le jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes les engagements civils, lesquels sans cela seraient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus énormes abus.
ROUSSEAU, Du Contrat social (1762), I, chapitre 6 “Du Souverain”, §§5-8
Questions :
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Qui doit être le « souverain » dans la société idéale selon Rousseau ? Justifiez.
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Pourquoi n’y a-t-il pas de symétrie entre le souverain et les sujets dans une démocratie ? Expliquez.
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Pourquoi le raisonnement de l’individu (développé dans le 3e paragraphe) est-il faux ?
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Quel problème pose l’expression « forcer chacun à être libre » ? Pourquoi est-ce néanmoins légitime selon Rousseau ?
Une explication orale proposée par Mary, Esther, Amel, Cléa et Elise (TL, 2018)
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