La psychanalyse substitue à la notion de mauvaise foi l’idée d’un mensonge sans menteur. (…) Si en effet nous repoussons le langage et la mythologie chosiste de la psychanalyse nous nous apercevons que la censure, pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu’elle refoule. Si nous renonçons en effet à toutes les métaphores représentant le refoulement comme un choc de forces aveugles, force est bien d’admettre que la censure doit choisir et, pour choisir, se représenter. D’où viendrait, autrement, qu’elle laisse passer les impulsions sexuelles licites, qu’elle tolère que les besoins (faim, soif, sommeil) s’expriment dans la claire conscience ? Et comment expliquer qu’elle peut relâcher sa surveillance, qu’elle peut même être trompée par les déguisements de l’instinct ? Mais il ne suffit pas qu’elle discerne les tendances maudites, il faut encore qu’elle les saisisse comme à refouler, ce qui implique chez elle à tout le moins une représentation de sa propre activité. En un mot, comment la censure discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les discerner ? Peut-on concevoir un savoir qui serait ignorance de soi ? Savoir, c’est savoir qu’on sait, disait Alain. Disons plutôt : tout savoir est conscience de savoir.
SARTRE, L’être et le néant, I, 2, 1, p.88
Questions :
- Quelle contradiction Sarte relève-t-il dans la notion d’inconscient ?
- Pourquoi la théorie psychanalytique n’est-elle pas acceptable d’un point de vue existentialiste ?
- Le recours à l’inconscient est-il une sorte de “mauvaise foi” ?
Sur cette question, il me semble que l’essai de Maxime Decout, “En toute mauvaise foi” (Minuit, 2015), apporte des réponses à la fois neuves et éclairantes. Il pose en effet d’abord le problème du rapport de la mauvaise foi à l’inconscient pour montrer comment la littérature apporte de toutes autres réponses à ce questionnement philosophique. La littérature est en effet plus concernée par la mauvaise foi que les autres sciences humaines parce que son discours, faisant exister ce qui n’est pas et ne pas exister ce qui est, repose justement sur une mauvaise foi problématique et souvent cachée. Le pari de l’essai est de penser la mauvaise foi dans la littérature mais aussi la littérature comme mauvaise foi. De renverser, une fois n’est pas coutume, l’ordre des lectures : non pas seulement lire la littérature à l’aide de la théorie sartrienne de la mauvaise foi mais aussi lire la pensée sartrienne de la mauvaise foi à travers la littérature. Et la mauvaise foi a tout à gagner à ce renversement. On lui découvre un tout autre visage, à la fois généreux et fécond, parce que renouvelant l’être en le pluralisant. Les oeuvres de Montaigne, Gary, Proust, Perec, Beckett, Sarraute, Laclos, Dostoïevski et même Agatha Christie y trouvent un sens inédit.
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