Qu’est-ce que la tolérance ? La tolérance nous commande d’accepter des gens et d’autoriser leurs pratiques même quand nous les désapprouvons avec force. Ainsi, la tolérance implique une attitude intermédiaire entre l’approbation pleine et entière et l’opposition sans retenue. Cette position intermédiaire fait de la tolérance une attitude déroutante.
Il existe certaines choses, comme le meurtre, que l’on ne devrait pas du tout tolérer. Il y a des limites à ce que nous pouvons faire pour empêcher de telles choses d’arriver, mais nous ne devons pas non plus nous retenir, sous prétexte de tolérance pour ces actions en tant qu’elles expriment les valeurs de ceux qui les commettent. Dans d’autres cas, là où nos sentiments d’opposition ou de désapprobation devraient être justement freinés, une meilleure solution serait de nous débarrasser tout simplement de ces sentiments. Si nous sommes touchés par des préjugés raciaux ou ethniques, par exemple, le remède à préférer n’est pas simplement de tolérer ce que nous exécrons, mais de cesser d’exécrer des gens uniquement parce que leur apparence ou leur milieu d’origine semblent différents. Idéalement, peut-être que toute situation correspondrait à l’un de ces deux types. Hormis là où une désapprobation et une opposition pleines et entières sont appropriées, comme dans le cas du meurtre, le mieux serait que les sentiments qui génèrent le conflit et le désaccord puissent être tout simplement éliminés. La tolérance, en tant qu’attitude qui requiert de contenir certains sentiments d’opposition et de désapprobation, serait alors un simple pis-aller – une façon de faire face à des attitudes dont nous nous passerions bien mais qui sont, hélas, impossibles à éliminer. Dire ceci, ce n’est pas condamner la tolérance. Même si c’est en un sens un pis-aller, l’adoption massive d’attitudes tolérantes serait une grande amélioration par rapport aux effusions de sang sectaires dont nous entendons parler quotidiennement, dans de nombreuses parties du globe. Endiguer cette violence ne serait pas une mince affaire.
Thomas SCANLON, La difficulté de la tolérance (2003), p.187